Qu'elle soit tamoule, maghrébine, malienne, finlandaise…, la culture du patient est une donnée importante à prendre en considération pour mieux le soigner. Telle est l’approche des consultations de psychiatrie transculturelle, développées en France, notamment par Marie Rose Moro.

 

Comment expliquer à cette femme wolof, face à son refus de césarienne, que son bébé est en souffrance fœtale et lui faire accepter l’intervention ? Tout d’abord, en l’écoutant : « Ma mère, mes sœurs ont accouché normalement, pourquoi pas moi ? » Puis en tenant compte de ses représentations : en étant césarisée, elle « pourrait acquérir un orifice supplémentaire et changerait de statut », tandis que son enfant, plus malin que les autres « ne souhaite pas passer là où son père est passé avant lui »

Un dispositif spécifique et bienveillant

Marie Rose Moro propose ce type de médiation depuis 1998 à l’Hôpital Avicenne de Bobigny, et depuis 2008 à l’Hôpital Cochin (Maison de Solenn-Paris). La psychiatre, pionnière en France de ces approches transculturelles, a ouvert deux consultations destinées initialement aux enfants de migrants1, puis désormais, plus largement, à des patients d’âges différents et à leur famille. Son parti pris : un diabète, une épilepsie et toute autre maladie, ne sont pas compris à l’identique que l’on soit Breton, Marocain, Malgache…

Le dispositif proposé est ainsi composé d’une dizaine de co-thérapeutes issus de différentes formations (psychiatre, ethnopsychanalyste, travailleur social mais aussi guérisseur, traducteur…) afin que le patient bénéficie d’un traitement prenant en compte aussi bien sa religion, sa culture que son bilan médical. Cette organisation fait d’ailleurs écho à celle des sociétés traditionnelles, où la maladie n’est pas pensée comme celle d’une personne mais d’une famille, d’un groupe. Avec l’objectif de considérer le patient comme un individu à part entière, dans toutes ses composantes.

Décentrer les regards

S’il existe encore peu de consultations de ce type en France, les praticiens du service de Marie Rose Moro militent pour que l’approche transculturelle fasse partie de la formation continue. Telle Rahmeth Radjack, psychiatre, responsable d’unité à la Maison des adolescents de Cochin et qui intervient également en province. Elle invite à l’ouverture et à la curiosité dans le soin, en un mot au « décentrage » qui consiste à envisager un autre point de vue que celui, parfois surplombant, du soignant : « Nul besoin de se former longuement en anthropologie. En revanche, on peut demander l’aide d’un interprète quand on ne comprend pas un patient. Ce qui peut éviter, par exemple, de le mettre d’emblée sous psychotrope ou de l’hospitaliser sous contrainte en pensant qu’il délire », explique-t-elle.

S’inspirant des travaux de Marie Rose Moro, qui s’est elle-même appuyée sur la pratique et la pensée du psychanalyste et anthropologue Georges Devereux, Rahmeth Radjack a ouvert d’autres consultations transculturelles à Sainte-Anne (Paris), Charcot (Saint-Cyr-l’École), Créteil, Strasbourg… Elle a également mis en place avec son équipe un séminaire pour les externes à Paris V. Elle y parle de situations pratiques, transmettant des conseils aux étudiants, les fait réfléchir sur leurs préjugés implicites face à une femme voilée, à un homme réticent à ce que son épouse soit examinée par un médecin homme, et les invite à…  se décentrer. Pour mieux soigner leur patient.

Suzanne Nemo 

 

1 - Le premier diplôme de psychiatrie transculturelle a été créé en 1998, à la faculté de médecine de Paris-XIII-Bobigny.

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