Plus d’un consommateur sur trois a nettement augmenté sa consommation de tabac, cannabis et/ou médicaments psychotropes depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Alors que les confinements ont rivé les Français sur leurs écrans, de nouvelles addictions inquiètent les professionnels de santé, tout aussi concernés. Conseils aux marathoniens des équipes de soins !

Le Dr Bernard Basset, président d'Accdictions France et le Pr Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie nous livrent leur point de vue.

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Dr Bernard Basset

Qu’avez-vous observé ?
Notre sondage BVA1 lancé au moment du 3e confine­ment a confirmé que l’isolement joue sur les habitudes de consommation. À l’heure où un Français sur 10 indique avoir déjà été suivi pour un problème d’addic­tion, cette étude révèle que plus d’un consommateur sur trois a nettement augmenté sa consommation de tabac, cannabis et/ou médicaments psychotropes pendant la première année de crise sanitaire. L’addiction aux jeux s’est aussi considérablement accentuée. Pour l’alcool, la situation est plus contrastée puisque certains ont augmenté leur consommation et à peu près autant l’ont baissée.

La crise sanitaire a affecté le moral de plus d’un Français sur deux

Que conseillez-vous aux soignants ?
Être très attentifs aux personnes isolées. L’effondrement du moral des Français, notamment des plus fragiles et plus précaires, est la toile de fond de cette augmentation des conduites addictives. Aujourd’hui 56 % des Français estiment que la crise sanitaire et les restrictions vécues ont eu un impact négatif sur leur moral. Des conséquences aussi néfastes sur les relations avec leurs proches que 53 % ont vu se dégrader, leur situation financière impactée selon 35 % des répon­dants ou bien encore l’accès aux soins qui n’a finalement inquiété que 29 % des Français, selon notre enquête.

Votre avis sur la prise en charge de consultations pour les jeunes ?
C’est une excellente initiative puisque nous savons tous que la crise a fragilisé psychologiquement un bon nombre d’entre nous. Nous pensons aux jeunes, mais aussi aux étudiants. Offrir cette nouvelle possibilité peut être un soutien ponctuel pour ceux qui ont le blues, mais aussi une amorce d’une prise en charge pour ceux qui le nécessitent, qui ont décompensé à l’occasion de cette crise.

+60 % de temps d’écrans, +35 % de consommation de tabac

Comment être plus attentifs ?
Attention à ceux qui ont augmenté leur consommation, quelle qu’elle soit. Tabac, cannabis et puis les jeux en ligne qui com­mencent à poser de réels soucis. L’Euro de football a aggravé cette situation, avec ses publicités pour parier et entrer dans une spirale qui correspond à installer une addiction aux jeux. À l’occa­sion de cette crise, nous avons confronté nos expériences et les services d’addictologie, universi­taires ou non, affrontent les mêmes dif­ficultés dont il convient de tirer les leçons. Première chose à faire : accepter de se vacci­ner pour travailler. Cela aussi peut faire baisser le niveau de stress et d’anxiété des soignants, ce qui me paraît essentiel au moment d’aborder une rentrée qui s’annonce compliquée.

1Sondage BVA sur plus de 2 000 personnes en population générale et les patients suivis dans les centres de la fédération.

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Pr Amine Benyamina

Que constatez-vous dans les services ?
Nous recevons des confrères hospitaliers et libéraux, notamment dans les spécialités les plus sollicitées comme les urgences, la réanimation et la médecine interne. Je pense en particulier aux jeunes médecins qui sont totalement épuisés. Pour certains, il s’agit de l’accumulation de somnifères et de psychotropes dont ils font usage pour faire face à l’arasement phy­sique de cette pandémie. Alors que nous pensions être sortis d’affaire, l’arrivée d’une nouvelle vague supprime toute perspec­tive de souffler et de pouvoir enfin récupérer. C’est une réali­té qui s’exprime par du stress, de l’insomnie, voire des syndromes dépressifs.

Le recueil de l’écoute des équipes de soignants devient indispensable.

Comment leur venir en aide ?
À l’hôpital Paul-Brousse, nous avons mis en place une petite cellule dirigée par un chef de clinique qui se déplace dans les services pour écouter et recueillir les doléances de manière très spontanée. Cette démarche a démarré par le service de gérontologie dans lequel nous avions eu un clus­ter l’an dernier. Ce système de recueil de l’écoute des équipes devient indispensable. Il peut s’agir d’une équipe mobile à partir des services de psychiatrie ou d’équipes de liaison organisée en binôme avec un cadre et un médecin. J’insiste pour que ce recueil de la parole des soignants soit réalisé par un tiers indépen­dant du service auquel il semble plus facile de parler de ses difficultés et de ses souffrances, de ses excès.

Que conseillez-vous aux soignants ?
Nous sommes sous l’effet du stress, y compris quand on quitte la blouse et l’hôpital. Alors, place à la décon­nexion complète. On éteint son téléphone, on arrête les SMS et une fois arrivés à la maison, pas question de regarder les chaînes d’information en continu. Cela passe aussi par se donner du plaisir. Marcher, faire des balades, prendre des repas en famille, mais aussi faire du sport, ne serait-ce qu’une petite demi-heure par jour. Cela est devenu primordial. C’est un sas de décom­pression physique et mentale dont nous avons absolument tous besoin, quel que soit notre niveau de responsabilité. Dernier point, ne renoncer ni à ses vacances ni à ses temps de repos.

Comment repartir du bon pied à la rentrée ?
Il faudra reprendre tranquillement en se disant qu’en tant qu’individu nous ne sommes pas respon­sable de la réussite du projet universel. On fait son travail consciencieusement, mais il s’agit de faire abs­traction de tout le reste. Pour sortir de cette situation, notre réussite repose sur la conjonction du travail de tout le monde.

Des soignants en souffrance : 44 % de troubles du sommeil, 31 % de syndrome dépressif*
*Source : Étude 2021 fondation FondaMental — revue de 70 études avec 101 017 participants et seules les études de haute qualité ont été incluses dans la méta-analyse — juin 2021.

Propos recueillis par Laurence Mauduit

 

 

 

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