Il est recommandé de pratiquer une activité physique pendant son traitement contre le cancer de la prostate, mais, dans les faits, nombre de patients restent très sédentaires... Pour mieux comprendre les freins, le CHU de Saint-Etienne a mis en place l'étude pilote ActiPair fin 2018, ainsi qu'un programme d'accompagnement à l'activité physique par d'autres patients en rémission. Premiers retours sur cette expérience de patients-pairs avec le Dr David Hupin, médecin du sport au CHU de Saint-Etienne.
L’effet protecteur et préventif du sport vis-à-vis de plusieurs cancers n’est plus à démontrer.
Dr David Hupin : Effectivement, plusieurs études ont prouvé que l'activité physique est bénéfique pendant le traitement aigu à l'hôpital, mais aussi à distance du diagnostic par rapport aux effets indésirables de la chimiothérapie, à la qualité de vie en général, au risque de récidive et à l’allongement de l’espérance de vie.
Or, si ce message passe généralement très bien auprès des femmes traitées pour un cancer du sein ou de l’endomètre par exemple, qui sont deux types de patientes que je suis régulièrement en centre de rééducation, c’est beaucoup plus compliqué avec les patients atteints d’un cancer de la prostate.
Pour quelles raisons ?
Sans faire de généralité, il ne faut pas oublier que la prostate est l’organe de la virilité : lors de tout diagnostic de cancer, votre monde s’écroule, mais là il peut aussi s’ajouter un sentiment de vulnérabilité, de diminution… Ils tendent à s’isoler et à tout refuser, sauf le médicament ! Par ailleurs, les effets indésirables de la chirurgie comme l’incontinence ou les douleurs au niveau du siège peuvent clairement dissuader d’aller faire du sport.
Constatant que ces patients n’adhéraient pas du tout à la rééducation prise en charge par la Sécurité sociale qui leur était proposée, nous avons donc décidé de lancer l’étude ActiPair, sur les départements de la Loire et de la Haute-Loire (1) et, en s’inspirant d’une initiative venue des Etats-Unis, de faire intervenir des patients-pairs, eux-mêmes actifs et concernés par la maladie, pour motiver les autres. Cela permet de faire passer notre message autrement, avec une approche et une sensibilité autre que celle d’un soignant.
En quoi a consisté cette étude ?
Le projet s’est décomposé en trois temps. Il a commencé par une étude qualitative : 30 patients ont été reçus en entretien par une sociologue du sport et de la santé. L’objectif était de cerner la trajectoire de chacun et leur rapport à l’activité physique. Etaient-ils déjà actifs avant la maladie ? Ont-ils accentué ou au contraire baissé la fréquence de leurs activités ? Et pour quelles raisons ? En fonction des profils, nous avons proposé à certains de devenir patients-pairs et à d’autres d’être coachés. Au final, nous avons identifié 9 patients-pairs (la majorité d’entre eux ayant eu une pratique compétitive ou de performance avant leur cancer) et 18 patients volontaires pour être suivis.
La seconde étape, début mars 2019, a consisté en une formation dispensée auprès des patients-pairs par une équipe pluridisciplinaire : la sociologue qui avait mené les entretiens, une infirmière formée à l'éducation thérapeutique du patient, un médecin du sport et un enseignant en activité physique adaptée, etc. L’objectif était d’échanger et de leur fournir des apports théoriques sur les signes cliniques : à quel rythme et comment motiver ? quels symptômes de souffrance doivent alerter ?
Enfin, pour l’étape du "mentorat" à proprement parler, nous avons associé chaque patient avec un pair en fonction de critères géographiques, mais aussi de leur vécu de la maladie, pour une bonne compréhension mutuelle.
Comment s’est déroulé ce suivi ?
Chaque patient s’est engagé dans la démarche pour 3 mois, avec un programme d’activité physique personnalisé, reposant sur une séance hebdomadaire dans une de nos structures partenaires, les DAPAP (Dispositifs d'accompagnement à la pratique de l'activité physique, anciennement Plateformes sport-santé) Loire (42) et Haute-Loire (43). Pour le suivi motivationnel, on les a laissés libres des modalités : cela pouvait se faire en présentiel, mais aussi à distance, par des coups de fil et sms réguliers.
Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?
Les binômes ont démarré de manière échelonnée à partir du printemps 2019 et tous n’ont pas terminé, nous n’avons donc pas encore assez de recul pour un bilan complet. L’analyse des retombées de ce suivi se fait via des montres connectées prêtées aux patients pour mesurer la pérennité de l’activité physique à 3 mois, 6 mois et 12 mois.
En tout cas, nous avons déjà eu des retours de binômes qui ont particulièrement bien fonctionné : certains faisaient de la randonnée ensemble, un autre s’est rendu avec son "mentor" dans sa salle de sport une fois par semaine… Désormais, nous avons le projet de lancer une étude élargie au niveau de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes, pour 500 patients. La recherche de financements est en cours.
Céline Collot
(1) Etude conduite par l'unité de médecine du sport, le service d'urologie et le centre d'investigation clinique du CHU de Saint-Etienne, en lien avec l'Institut de Cancérologie Lucien Neuwirth. Cette étude a bénéficié d'un financement de l'INCA (Institut national du cancer).