Le Centre d’éthique clinique (Cec) de l’AP-HP, installé au sein de l’hôpital Cochin depuis 2002, propose une aide à la décision médicale quand elle se révèle éthiquement complexe. Rencontre avec son directeur, le médecin Nicolas Foureur, pour découvrir comment le Cec accompagne les soignants et les patients au quotidien.
Comment est né le premier Centre d’éthique clinique (Cochin) de France, que vous dirigez aujourd’hui ?
Nicolas Foureur : En 2002, la loi sur les droits des patients est adoptée. La cardiologue et médecin de santé publique Véronique Fournier, qui avait travaillé auprès de Bernard Kouchner pour donner naissance à cette loi, a créé ce centre.
Il s’agit du premier en France sous cette forme, dans le sillage de cette loi et du mouvement naissant de la démocratie sanitaire. C’était sa mise en pratique. L’idée était de créer un outil pour permettre aux patients de faire entendre leur voix et de décider pour eux-mêmes, ainsi que de faire entrer les sciences humaines à l’hôpital.
Les saisines sont en effet ouvertes depuis le début aux patients et à leurs proches, en plus des soignants. Dans les premières années, la majorité des saisines provenaient des patients ou des familles. Chaque cas, qu’il provienne d’un patient ou d’une équipe médicale, est appréhendé en binôme constitué d’un soignant et d’un non soignant, qui se rendent sur place et rencontrent toutes les parties en présence. Ensuite, au regard des informations recueillies, et des données médicales, un collège multidisciplinaire se réunit et essaie de répondre à un ensemble de questions éthiques en fonction des principes fondamentaux de bienfaisance, de non-malfaisance, du respect de l’autonomie et de justice. Nous rendons ensuite un avis oral, et c’est, au final, au médecin référent du patient qu’il revient de prendre la décision médicale.
Quelles sont les spécificités de l’éthique clinique à la française, pays des lois de bioéthique ?
N. F. : Nous avons en France des instances nationales qui édictent des recommandations globales, définissant un cadre légal et éthique, avec les lois de bioéthiques régulièrement révisées. Lorsque le centre de Cochin a été créé, l’éthique clinique en Europe et en France était moins développée qu’aux États-Unis, où le MacLean Center for Clinical Medical Ethics de Chicago était dirigé par le Pr Mark Siegler, fondateur de l’éthique clinique dans les années 1970.
En France, il manquait ce maillon entre une réflexion nationale intellectuelle et le chevet des patients, le quotidien des familles et des soignants. En France, le Cec a vocation à faire émerger et entendre à l'hôpital la voix des patients et des familles, même lorsque la demande est contraire aux procédures médicales habituellement en vigueur dans un établissement, voire lorsqu’elle semble se situer à la limite de la légalité. Un patient est fragilisé, le collectif ne doit pas systématiquement s’imposer à lui, sa volonté et son autonomie doivent être respectées autant que possible. Un individu seul, d’autant plus qu’il est malade et potentiellement plus fragile, a parfois plus de mal à contrer ce qui peut aller à l’encontre de sa volonté et le centre d’éthique clinique se positionne au cœur de ce conflit entre l’individu et le collectif.
C’est un équilibre permanent à instaurer entre une demande individuelle, avec la parole du patient à entendre, et ce que le collectif et la médecine peuvent ou doivent faire. L’idée n’est pas nécessairement de privilégier l’un par rapport à l’autre, mais de faire valoir à part égale les valeurs de chacun.
“Aujourd’hui, le Centre d’éthique clinique est majoritairement saisi par les soignants”
Comment l’éthique clinique est-elle accueillie par les soignants et que peut-elle leur apporter ?
N. F. : Nous ne voulions pas d’une éthique pensée hors de l’hôpital, à distance de la réalité du terrain, ou gérée exclusivement par des médecins, en exclusion des autres professions soignantes ou des sciences humaines. Il est aussi extrêmement compliqué – je suis concerné ! – quand on a le nez dans le guidon de se rendre compte des enjeux non médicaux liés à une décision médicale. Bien sûr, il n’est pas toujours facile pour un médecin d’être contacté par le Cec parce que l’un de ses patients nous a appelés…
Mais aujourd’hui, l’éthique clinique a fait son chemin à l’hôpital et la majorité des saisines viennent des soignants. C’est une source très riche de nouveaux questionnements au sein de la société, qu’ils émanent des professionnels ou des patients et de leurs proches, comme sur l’aide active à mourir ou la mise en Ehpad sans consentement de personnes âgées. Au début de la crise de la Covid-19, des soignants nous ont appelés de toute la France parce qu’ils étaient très inquiets de devoir trier des patients, et des critères éthiques sur lesquels se fonder s’ils étaient forcés à des « choix tragiques ».
L’éthique clinique, loin de déposséder les médecins de leur responsabilité, les aide au contraire en éclairant les situations les plus complexes sous un jour nouveau. Face à une demande croissante de formation de la part des soignants, nous avons ainsi mis en place une initiation à l’éthique clinique au sein de la formation continue de l’AP-HP.
En chiffres
50 saisines sont réalisées en moyenne chaque année dont :
60 % provenant de professionnels de santé et 40 % de patients ou proches
Les saisines émanent de l’ AP-HP, mais aussi des structures sanitaires ou des Ehpad franciliens en dehors de l’AP-HP ou depuis la province. Les patients concernés sont en établissement hospitalier ou équivalent, dans le secteur médico-social (principalement en Ehpad) et parfois à domicile.
Publication
L’aide-mémoire de Véronique Fournier et Nicolas Foureur, paru aux éditions Dunod le 16 juin dernier, présente dix cas d’éthique clinique et dix chapitres méthodologiques pour accompagner les soignants dans leur pratique au quotidien. Les repères proposés sont également utiles aux étudiants des filières médicales et paramédicales, ainsi qu’aux professionnels, soignants ou non, travaillant dans une structure d’éthique clinique hospitalière.