Chaque année en France, 20 000 femmes atteintes d'un cancer du sein subissent une mastectomie. Pour l'ultime étape de la reconstruction, qui consiste à recréer l'aréole, il existe une technique de tatouage dit "3D", pratiquée depuis une quinzaine d'années aux Etats-Unis. Ici pas de scalpel, ni de greffe, juste un geste artistique et humain offrant l'illusion parfaite du mamelon.
«Si on m'avait dit un jour que je me ferais tatouer, je n'y aurais pas cru !» lance Véronique, l'une des quelque 400 femmes à être passées entre les mains de la tatoueuse Alexia Cassar, pionnière française du tatouage 3D.
Alexia Cassar
Ouvert en 2017 à Marly-la-Ville, son salon The Tétons Tattoo Shop, est un service unique en France (1). «Après la mastectomie, j'ai fait le choix d'une reconstruction complète avec prothèse et lipofilling, puis j'ai d'abord envisagé la greffe, avant d'entendre parler du tatouage 3D», raconte Véronique.
Se réapproprier son apparence
Après une mastectomie, se réapproprier son apparence est un parcours propre à chaque patiente. Et si seules 20 à 30 % de ces femmes s'engagent dans la reconstruction mammaire, le manque d'information est souvent en cause (2). En France, la reconstruction de la plaque aréolo-mamelonnaire (PAM) peut passer par une greffe (opération souvent douloureuse) et/ou un tatouage médical, dont la pigmentation s'estompe dans le temps. De plus, c'est sans garantie d'efficacité esthétique comme le souligne Emmanuelle : «On m'avait greffé un morceau d'orteil pour reconstituer mon téton et j'ai eu deux fois recours à la dermopigmentation pour le contour de l'aréole, mais ce n'était pas du tout satisfaisant».
Elle se lance alors dans des recherches sur internet et découvre l'histoire d'Alexia Cassar. Il y a quelques années, celle-ci a quitté son métier de chercheuse en cancérologie pour se former au tatouage traditionnel auprès d'un maître-tatoueur, puis est partie aux Etats-Unis apprendre la technique de reconstruction du mamelon en 3D. Elle dit avoir trouvé dans le tatouage le moyen d'allier sa passion pour le dessin et son envie «d'aider les femmes à se reconstruire après un cancer du sein». 30 minutes de tatouage, pas de chirurgie, pas de suites opératoires... ce procédé présente le double avantage d'être simple et durable.
Encadrement et certification de l'activité
Depuis l'ouverture de son salon, Alexia Cassar a suscité la curiosité des médias et fait des "émules".
Des personnes se sont engouffrées dans le créneau sans formation spécifique, des tatoueurs autodidactes et même, pire, certains centres d'esthétique qui faisaient du maquillage permanent, c'est de l'abus de confiance, regrette Alexia.
En réaction, elle revendique son professionnalisme : «Tatouer une peau qui a subi une mutilation et des traitements ne s'improvise pas... Je m'assure toujours de la faisabilité du tatouage et de l'absence de contre-indication avant de promettre un rendez-vous.»
Pour contrer ces dérives, elle milite aussi pour un encadrement et une certification de l'activité, n'hésitant pas à interpeller les pouvoirs publics. Le 5 mars dernier, le Sénat a adopté un projet de loi sur l'obligation d'information sur la reconstruction mammaire après une mastectomie et la sénatrice Françoise Laborde a justement plaidé sa cause : «Cette technique reste insuffisamment développée et non prise en charge. Il y a là matière à réfléchir.» En effet, l'autre combat d'Alexia porte sur le remboursement de cet acte, qui coûte environ 500 euros aux patientes. Il y a déjà eu quelques prises en charge exceptionnelles au titre de l'Aide financière individuelle, mais les conditions d'attribution sont très variables d'une caisse à l'autre.
La fin du parcours
Pour autant, se remettre dans sa vie de femme, dans sa vie d'après la maladie, ça n'a pas de prix... Grâce à cette technique jouant sur "l'illustion" de la 3D, la reconstruction devient réalité tangible. Emmanuelle y a trouvé ce que la chirurgie n'avait pas réussi à lui apporter : «Même si, au bout de 5 ans, je me sais guérie, j'avais besoin de ça pour mettre un point final à mon parcours. Et le résultat est sans comparaison avec tout ce que j'ai pu voir par ailleurs.» Même sentiment d'accomplissement pour Véronique : « Au-delà de ma féminité, j'ai l'impression d'avoir retrouvé une certaine forme de liberté. Je n'ai plus honte ni peur de me croiser dans le miroir.»
Le tatouage 3D vient parfaire le travail en volume du chirurgien : nous sommes vraiment des partenaires de la reconstruction de l'estime de soi des patientes. Alexia Cassar
Elles témoignent...
Véronique
« La première fois que j'ai entendu parler d'Alexia, c'était par l'application Mon réseau cancer du sein qui m'avait déjà tellement aidée pendant l'épreuve de la maladie. Je m'étais fait poser une prothèse tout de suite après la mestectomie, mais peu après j'ai dû me la faire remplacer. A cette occasion, j'ai changé d'hôpital et la chirurgienne qui m'a prise en charge connaissait aussi le travail d'Alexia. Elle m'a encouragée à la contacter, je me suis sentie complètement soutenue dans ma démarche.
Alexia est extrêmement professionnelle et à l'écoute : avec elle, chaque cas est forcément unique, c'est bien plus qu'un sein à tatouer, elle prend en compte notre vécu et notre histoire.
En l’occurrence pour moi, depuis que je suis adolescente, ma poitrine était ma fierté ! Alors, vivre avec cette mutilation et cette cicatrice, malgré la reconstruction, c’était terrible. Je n’arrivais pas à me réapproprier cette partie de mon corps.
A l’inverse, dès la première séance de tatouage, j’ai eu un autre regard, l’impression immédiate que j'avais retrouvé un sein. Le résultat est superbe, bluffant, c'est au-delà des mots... Je suis à nouveau à l’aise dans ma féminité vis-à-vis des autres et comme "renarcissisée" » : c’est un peu comme porter de la lingerie chic et élégante, même si on est la seule à la savoir, on se sent tellement plus belle et en confiance ! »
Emmanuelle
« Presque 10 ans après mon cancer, j’ai fait un point sur ma vie et décidé d’achever ma reconstruction qui jusqu’alors n’était pas satisfaisante. J’ai fait des recherches sur internet et j'ai découvert l’histoire d’Alexia Cassar. Son approche très personnelle et bienveillante m'a à la fois touchée et convaincue de faire le tatouage 3D.
Le problème avec moi, c’est qu’une fois que je prends une décision, j’ai du mal à être patiente ! Je la contacte en avril et elle m’annonce des mois d'attente pour un rendez-vous un vendredi après-midi…
Finalement, sachant que je pourrai m’arranger avec mon travail, je décide de prendre le premier rendez-vous, peu importe le jour et l’heure, et ce fut la semaine suivante ! Cela s'est donc fait très vite et c’était très intense émotionnellement : arriver enfin au bout de ce parcours, faire ce tatouage pour moi et pour avancer dans ma vie personnelle…
Aujourd'hui, quand je me regarde dans la glace, même s'il y a la cicatrice et même s'il manque un peu de volume dans mon cas, j’ai vraiment l'impression d'avoir deux seins… Tellement beaux que je les ai montrés à toutes mes copines ! »
Céline Collot
reportage photos Valérie Hue
(1) Développé grâce au soutien de chirurgiens de l'Institut Gustave Roussy et avec le Syndicat National des Artistes Tatoueurs (SNAT). Un second site a ouvert à Nice au printemps 2019.
(2) Selon une étude de 2014 de l'Observatoire sociétal des cancers qui met aussi en avant le coût et les délais d'attente trop longs.