Maria Melchior, directrice de recherche à l’Inserm, membre du comité d’expert de Santé publique France
Que révèle cette étude plus d’un an après la catastrophe ?
On sait que les catastrophes naturelles ou industrielles comme celle de Lubrizol peuvent avoir un effet sur des pathologies d’ordre psychiatrique. Il s’agit en particulier du syndrome post-traumatique et de l’anxiété. Cette enquête menée plus d’un an après l’événement permet de se poser pas mal de questions sur la manière d’évaluer le mal-être éventuel de la population. C’est pourtant essentiel de le faire maintenant pour avoir une idée précise de la santé et de la qualité de vie des personnes qui ont été exposées. Notre conseil scientifique estime qu’il est particulièrement important de mener ce travail dans le contexte actuel. La crise de la Covid-19 peut accélérer des troubles chez les personnes ayant vécu cette catastrophe. Il n’y a que quelques centaines de personnes qui ont été directement concernées par l’incendie, pourtant dès les premiers entretiens qualitatifs menés dans le cadre de cette étude, nous nous sommes aperçus que le traumatisme pouvait directement concerner des personnes sur l’ensemble de l’agglomération que le nuage de fumée a survolé. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’enquêter auprès d’un très grand nombre de personnes, dans un périmètre bien plus large.
Quels symptômes avez-vous déjà repérés ?
Avec l’ensemble du conseil scientifique et des professionnels de santé sur le terrain, nous avons choisi de mesurer différents aspects pour déceler les troubles anxieux et la présence de troubles dépressifs. L’idée est donc de comparer l’état de santé des personnes qui vivent sur la zone de l’explosion de Lubrizol avec des personnes de situation socio-économique comparable dans la région du Havre. Sur la base des connaissances dont nous disposons, nous suspectons une augmentation des troubles anxieux, des problèmes de sommeil et des syndromes post-traumatiques non encore diagnostiqués.
Quels conseils livrez-vous aux soignants ?
Les manifestations de troubles anxieux du syndrome de stress post-traumatique sont assez variables. Les professionnels de santé, les médecins généralistes, mais aussi l’ensemble des soignants doivent être très attentifs. Les problèmes de sommeil, de concentration et tout ce qui peut avoir changé dans leur vie quotidienne doivent immédiatement alerter les professionnels. Il ne faut rien prendre à la légère. Il faut guetter le moindre signe avant-coureur d’une dégradation plus importante de la santé mentale. À la suite d’un incendie ou d’une catastrophe de ce type, on s’attend à ce que les personnes soient très choquées, y compris plusieurs mois après l’événement. Les syndromes post-traumatiques peuvent se déclencher six mois ou un an après les faits. Sur le moment, les personnes parviennent à absorber le choc, elles arrivent à gérer les événements, mais en fait, au fur et à mesure que le temps passe, leur état peut considérablement se dégrader. Restons extrêmement vigilants.
Propos recueillis par Laurence Mauduit