Et les formateurs, dans tout ça ? Des formateurs sont assignés sur divers dispositifs. Certains ont été ou sont encore écoutants sur les plateformes COVIDOM. Cellule téléphonique d’écoute et de conseil des appelants. Une grille avec une classification des repères symptomatiques et des signes cliniques permet à l’écoutant de renseigner, d’orienter les personnes et de les suivre selon leurs besoins. D’autres, dont je fais partie en région parisienne, sont détachés sur la formation accélérée aux soins infirmiers des étudiants médecins et autres professionnels.

Le site Picpus de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) regroupe un Institut de Formation en Soins Infirmiers, l’Institut de Formation des Cadres de Santé et le centre de formation continue de l’AP-HP. Ces locaux ont été aménagés en catastrophe pour une formation accélérée en soins infirmiers des étudiants médecins, sous forme d’ateliers pratiques. Les étudiants sont accueillis dans le hall avec masques et liquide désinfectant. Un grand tableau leur indique leur numéro de groupe et le circuit qu’ils doivent suivre pour la demi-journée. La première vague est reçue à 7h30 jusqu’à 13h avec rencontre d’un responsable RH pour leur donner leurs affectations. Deuxième vague à 13h30 et réunion RH à 19h. 1500 personnes formées. Les formateurs de ce montage viennent de tous les IFSI de l’AP-HP. Occasion pour moi de rencontrer mes nouveaux collègues. J’ai intégré l’un de ces établissements le 24 mars, en plein confinement. Nous aurons, en un mois, le temps de partager impressions, réflexions et pratiques. Nous avons même quelques repas offerts par Fauchon pour soutenir les troupes. Repas pris sur l’herbe pour décompresser, profiter de la belle lumière du printemps et des fleurs du jardin, et rire.

Les soins sont expliqués sur des mannequins. Les précautions standards d’hygiène (lavage des mains), celles spécifiques à la situation (habillage et protections), les prises de sang, pauses de perfusions, préparations de médicaments, de seringues électriques. Idem pour l’identito-vigilance et la rigueur de la prescription. Les formateurs, dont je suis, voient défiler ces groupes et leur répètent, de façon devenue mécanique, la succession d’informations et de gestes à apprendre, tels des robots, au fil des heures et des jours. Pourtant, chaque groupe est différent. De part sa composition et selon les périodes au fil de ce mois qui vient de s’écouler. Aux premiers jours, ils étaient de jeunes externes de 3e ou 4e année de médecine. Si jeunes, généreux, enthousiastes, inconscients, fougueux, pour certains même un brin « sauveurs du monde ». Puis, sont arrivés dentistes et médecins de ville aux cabinets fermés. Puis, les médecins des hôpitaux ou cliniques à l’arrêt. Une neurochirurgienne me dira « Je vois courir les infirmières de partout, je voudrais pouvoir les aider, faire quelque chose pour elles ». En neurochirurgie, toutes les interventions programmées sont arrêtées, seules les urgences sont assurées. Un chirurgien orthopédique, en chômage technique, bloc fermé, expert en pause de gants stériles fera la démonstration aux autres mais restera sans voix devant le montage des seringues et « robinets » des perfusions. Gynécologues, pédiatres et même pédopsychiatres feront partie du voyage. Un banc de kinésithérapeutes complétera la cohorte.  Ils parlent des mesures de protection, des sur-blouses, des lunettes, des masques, qui leur donnent une drôle d’allure. Je les surnomme cosmonautes. Belle occasion de leur transmettre, malgré ce « déguisement », d’être attentif à la relation. Pourront-ils lui donner toute sa dimension pour construire la confiance des patients et tenter d’être rassurant ? Comment peuvent-ils l’être quand eux-mêmes ne savent de quoi demain sera fait, ni pour eux, ni pour les patients, quand tout s’agite et s’affole ? 

Toutes les mesures de sécurité sont déployées, pourtant, une grande sensation d’insécurité plane.  C’est le moment de leur dire que ces émotions sont inévitables et font parties du « boulot », que nous sommes tous en état de choc. Un temps sera nécessaire pour se poser et déposer tout cela. Chacun aura-t-il l’envie, le temps, se l’autoriseront-ils ? En auront-ils les moyens ? Ils seront des soignants d’une autre nature après cette traversée. Nous serons tous différents après ces épisodes. L’interprofessionnalité est reconstruite, revue et corrigée.  État de choc, je l’ai vécu le soir du premier jour de cette formation. Angoisse profonde, que mon éthique fait remonter à la surface. Envoyer ces jeunes au front sans armes !  Hannah Arendt me taraude encore certains soirs avant de m’endormir. Dans quel « vaisseau-système » suis-je embarquée ? « Perte de chance », expression usitée dans les services, d’actualité particulièrement ces jours.

Une interne des urgences, nous dira qu’elle a reçu un homme de 70 ayant fait un AVC. Depuis trois jours resté au sol chez lui, une escarre sur toute la fesse droite. Sa femme, affolée par les informations, n’avait pas osé prévenir les secours de peur de déranger ! Étrangement, les urgences ne reçoivent pas d’autres urgences que les patients malades du COVID. Que deviennent les autres ? En oncologie des greffes de moelle sont abandonnées. Comment ne pas se poser de questions ? Propos d’un collègue en renfort sur un service de santé mentale : flottement chez lui quand il entre dans le bâtiment de la direction, au bureau du personnel. L’agent administratif n’a pas de masque alors que lui, soignant en a un. Sensation de gêne, tout d’abord.  Puis, la question l’effleure, n’en a-t-elle pas par manque de moyens ? Sensation de culpabilité peut-être. Différenciation des professionnels alors que tous deux travaillent dans le même hôpital ? Dans les services de soins, le port du masque est systématique pour tous les professionnels. Incompréhension ? Comment partager ces événements sans bouleversements intérieurs ?

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