Les formidables promesses des biothérapies
Médecine personnalisée, solutions thérapeutiques totalement innovantes : les biothérapies ouvrent le champ des possibles en oncologie, immunologie, virologie et dans la prise en charge des maladies rares. Les cellules sanguines, mais aussi la moelle osseuse, deviennent une matière première essentielle pour réparer les dysfonctionnements du corps humain.
François Toujas, Président de l’Établissement français du sang (EFS) et Marina Cavazzana, Professeure d’hématologie à l’Université Paris-Descartes, cheffe du département de biothérapie et du centre d’investigation clinique de biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) nous livrent leur point de vue.
François Toujas
Les réserves de produits sanguins sont-elles suffisantes ?
Malgré la pandémie, nous n’avons jamais manqué de produits sur l’ensemble du territoire et aucun établissement hospitalier n’a manqué de produits sanguins pour prendre en charge ses malades. Ces produits, qui ont une durée de vie limitée à 7 jours pour les plaquettes et 42 jours pour les globules rouges, nous conduisent à renouveler notre stock en permanence pour répondre à un besoin extrêmement important.
Les déconfinements successifs et la forte vague Omicron ont accru la volatilité des collectes et cette démobilisation nous a mis face à des niveaux de réserves historiquement bas en tout début d’année. La situation est aujourd’hui rétablie puisque nous disposons de plus de 100 000 concentrés de globules rouges.
Comment considérer le don du sang par rapport au don d’organe ?
L’Établissement français du sang et l’agence de biomédecine partagent naturellement les mêmes valeurs, mais le don du sang nécessite un appel à la mobilisation régulière auprès de donneurs qui doivent faire une démarche volontaire pour le faire. De fortes évolutions législatives et réglementaires font que nous sommes tous potentiellement des donneurs d’organes. Beaucoup d’associations de donneurs de sang sont aussi positionnées sur le don d’organes. J’estime pourtant que ces problématiques ne sont pas complètement parallèles, car les niveaux d’engagement me paraissent bien différents. À l’EFS, nous sommes sur des enjeux de volumes, et donc de mobilisation, très importants. Notre organisation est donc, elle aussi, très différente.
10 000 dons de sang nécessaires chaque jour
Quel message adressez-vous aux équipes cliniques ?
Notre mission est aussi de simplifier le travail des médecins. Lorsque les équipes soignantes ont besoin de produits sanguins, nous nous faisons fort d’y répondre dans un dialogue constructif au bénéfice du patient.
Ces produits, définitivement pas comme les autres, sont extrêmement précieux et doivent donc être utilisés à bon escient pour respecter le don éthique à l’origine de cette solution thérapeutique, résultat d’une chaîne de solidarité. Je tiens à remercier les professionnels de santé et soignants qui sont tous aussi des donneurs potentiels. Chacun d’entre vous peut devenir un donneur régulier et vous êtes déjà très nombreux à le faire. On voit toujours l’EFS à partir de la collecte. L’EFS, c’est aussi 200 sites d’immunohématologie et de délivrance au coeur des hôpitaux. C’est un travail commun, au quotidien avec l’ensemble des équipes cliniques.
Cette relation qui in fine existe pour prendre en charge le malade repose à la fois sur la compétence des uns et des autres et sur le conseil transfusionnel à partager, y compris sur les cas les plus difficiles.
Marina Cavazzana
Dans quelles pathologies la correction des cellules malades est désormais possible ?
En étant capable de récolter et d’isoler les cellules souches à l’origine du renouvellement des cellules qui circulent dans le sang, on peut aujourd’hui parvenir à corriger ces cellules malades. Cela transforme le schéma thérapeutique de maladies génétiques comme les anémies chroniques telles que la drépanocytose1. Ce prélèvement des cellules souches de la moelle osseuse, capables d’engendrer l’ensemble des lignées cellulaires présentes dans le sang, offre de multiples perspectives aujourd’hui.
À quoi aboutit cette réparation génétique ?
Avant de les réinjecter aux patients, un gène fonctionnel est introduit dans ces cellules pour suppléer le gène déficient. Cette approche nous permet désormais de guérir des enfants atteints de deux formes d’anémie d’origine génétique comme la drépanocytose et la bêta-thalassémie2. Les malades traités par la thérapie génique produisent désormais de l’hémoglobine en qualité suffisante et n’ont donc plus besoin d’être transfusés. Ceci nous permet de corriger un grand nombre de maladies génétiques, en agissant sur les globules blancs ou rouges selon leur pathologie. La généralisation, par exemple, du dépistage néonatal de la drépanocytose permettrait de prévenir la survenue de manifestations et de complications graves de cette pathologie, la plus fréquente des maladies génétiques. Nous accélérons les recherches pour que ces nouvelles solutions profitent à plus de patients atteints d’autres pathologies.
80 pathologies graves déjà prises en charge
Que conseillez-vous aux cliniciens ?
Ces solutions existent et les progrès sont rapides, mais il nous manque pas mal de choses pour que cela se généralise et devienne encore plus efficace pour tous les patients traités. Nous avons besoin de ressources financières pour produire les vecteurs viraux3 dont on a besoin pour corriger toutes les cellules. Mon équipe qui dispose des technologies les plus pointues s’appuie aussi sur un réseau pluridisciplinaire de chercheurs et de médecins. J’invite d’ailleurs
les jeunes médecins à compléter leur formation avec des thèses de sciences pour mieux comprendre les outils à leur disposition. Cela peut leur faciliter la tâche pour bien savoir les utiliser. Il nous revient de tout mettre en place pour proposer un jour ces thérapeutiques à grande échelle. Aujourd’hui chaque essai clinique ne traite que quelques dizaines de patients, alors que cela peut concerner des millions de personnes.
Laurence Mauduit
1Maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges (ou hématies). Elle est caractérisée par une anomalie de l'hémoglobine, principale protéine du globule rouge.
2 Maladie due à une anomalie génétique de l'hémoglobine
3 Molécule d'ADN contenant un gène d’intérêt (ou une construction génétique d'intérêt) qui va être délivrée dans les cellules hôtes visées