Combattre le cancer, c’est accepter de voir son corps s’abîmer sous l’effet des traitements toxiques. Les cheveux qui tombent, la peau qui démange, les ongles qui cassent… Or l’image de soi compte aussi dans la guérison. Rencontre avec Marie-Laure Allouis, infirmière en bio esthétique, au pôle cancérologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris.
Quel est votre quotidien à l’hôpital ?
Mon travail consiste à accompagner les patients qui débutent un traitement anticancéreux pour réduire au maximum les risques d’effets secondaires. Je connais la toxicité de toutes les molécules utilisées. La chimiothérapie détruit les cellules cancéreuses mais aussi les cellules saines. Ses effets sont dévastateurs pour la peau et le système pileux. Les thérapies ciblées et l’immunothérapie provoquent d’autres effets secondaires, plus aléatoires. Les ongles, les muqueuses, les mains et les pieds sont aussi touchés. J’informe les patients des précautions à prendre et des produits à utiliser pour prendre soin de leur corps. L’objectif, c’est de conserver la meilleure qualité de vie possible.
Depuis quand prend-on l’esthétique au sérieux ?
Il y a vingt ans, les oncologues ne s’intéressaient pas vraiment à l’impact des dommages esthétiques des traitements prescrits sur le mental des malades. Pour eux, l’essentiel était de guérir. La chute des cheveux était presque un mal nécessaire, un dommage collatéral. Heureusement, les choses ont changé.
C’est-à-dire ?
On sait maintenant combien le moral joue sur le pronostic vital. Prendre soin de son corps, c’est retrouver une image positive de soi-même. C’est retrouver l’envie de se battre pour supporter le traitement, mener une vie presque normale et espérer guérir, sans souffrir inutilement.
Aujourd’hui, le patient s’exprime. Et on l’écoute. Il s’informe beaucoup sur internet. Il refuse de souffrir en silence. Il est demandeur de conseils pour être acteur de sa santé.
Quels sont les conseils de base ?
S’hydrater en prévention - mais aussi pendant et après - au moins une fois par jour de la tête aux pieds. Peu importe l’âge, le sexe ou le type de cancer, l’hydratation reste le meilleur rempart contre les effets indésirables des traitements qui assèchent la peau. Achetez une savon surgras, une crème émolliente corps et visage, une crème solaire indice 50+ et une crème cicatrisante. Se mettre de la crème doit devenir un réflexe comme on se lave les dents.
Quid des cheveux ?
Perdre ses cheveux est toujours la plus grande des souffrances. Autant que les cils ou la barbe pour les hommes. Je conseille de se laver les cheveux la veille de la chimio, sans les embêter après. Il faut aussi les couper court pour ne pas s’effrayer de les voir tomber par poignées. Et bien sûr, il y a les perruques et les accessoires (bandeau, turban, foulard…). C’est le moment d’être encore plus coquette, plus féminine. Osez les bijoux, les couleurs. N’essayez pas d’être comme hier. Créez-vous un look nouveau pour aller de l’avant.
Quelles seraient les erreurs à ne pas faire ?
Pas de faux ongles, pas de faux cils. En revanche, on peut se maquiller. Certaines femmes pensent qu’elles n’ont pas le droit. C’est faux. La chimiothérapie ne déclenche pas d’allergies. Vous pouvez tout à fait conserver votre rouge à lèvres, votre fond de teint et maquiller vos sourcils.
Il n’est pas forcément utile d’acheter une crème pour chaque partie du corps. Certaines boutiques spécialisées poussent à la dépense. Mais vous trouverez votre bonheur dans une grande parapharmacie
Quel rôle peuvent jouer les proches ?
Souvent, ils aimeraient aider mais ne savent pas comment. Se mettre de la crème est moins facile avec l’âge et la fatigue. Les proches peuvent rendre ce service. Je recommande aux patients de protéger leurs mains du froid et des tâches ménagères (vaisselle, ménage…) en portant des gants. Mais leur entourage peut aussi s’en charger. À l’hôpital, n’offrez pas de chocolat ni de fleurs mais plutôt un tube de crème hydratante, un joli foulard ou une casquette.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Je n’aime pas spécialement écrire mais je souhaitais partager ce savoir pratique accumulé depuis plusieurs années auprès des médecins, des soignants et des malades eux-mêmes. Savoir prendre soin de son corps avant d’entamer des traitements aussi lourds peut déjà faire baisser le niveau de stress. Si vous saviez combien mes collègues attendaient ce livre !
Interview Olivier Brovelli
Prendre soin de son corps pendant un cancer - Marie-Laure Allouis, éditions Jouvence Santé.
Témoignage
Atteinte d’un cancer du sein à 38 ans, Agnès a suivi une chimiothérapie. Cinq ans plus tard, elle se souvient.
« Ma première chimio s’est déroulée sans désagréments majeurs même si j’ai perdu mes cheveux, mes cils et mes sourcils très vite. La deuxième chimio a eu des effets plus sévères. Mes ongles noircissaient. Je faisais de l’urticaire
J’évitais de me regarder dans la glace.
Je ne mettais pas spécialement de crème hydratante. Bizarrement, je ne voulais pas surcharger ma peau. En revanche, je me maquillais davantage. Je ne voulais pas "faire malade". C’était l’été mais j’évitais de m’exposer au soleil. Pour les ongles, je mettais un vernis noir au silicium. Pour les cheveux, une perruque et des bandeaux, le soir à la maison.
Je me suis débrouillée un peu toute seule avec les effets secondaires du traitement, sans véritable accompagnement. Peut-être parce que j’étais suivie par des médecins hommes assez âgés. La question de la réappropriation de ma féminité est venue après, lors de la reconstruction mammaire ».