Quels enjeux ? quelles préconisations ?
Éric Chenut est président de la Mutualité française. Il nous livre son analyse sur le contexte hospitalier et sanitaire actuel. Il esquisse également des pistes pour renforcer la reconnaissance des professionnels de santé et l’attractivité du secteur. Rencontre.
Quel regard portez-vous sur les suites de la crise sanitaire et notamment le Ségur de la santé ?
Éric Chenut : Le Ségur ne venait que rattraper partiellement les retards de rémunération de ces dix dernières années. Cependant, au-delà des questions de rémunération importantes, ce qui était attendu et largement exprimé, était de sortir d’un certain nombre de doxa : l’hôpital entreprise, des modalités de fonctionnement procédurales et chronophages pour les équipes, les distrayant d’une partie du temps utile (médical et soignant) au lit du patient ou du résident. Pendant la crise, pour aller à l’essentiel, on a permis aux équipes de retrouver un peu de bon sens, celui de l’intérêt général et des métiers du soin et de l’accompagnement. Mais une fois la tension retombée, on a retrouvé très vite les fonctionnements précédents.
Comment retrouver ce « bon sens » pour redonner, justement, du sens à l’engagement professionnel ?
É. C. : En requestionnant la répartition entre la ville et l’hôpital, entre le secteur sanitaire, médico-social et social. En redéfinissant clairement les missions relevant de l’hôpital et de ses plateaux techniques, de sa typologie d’expertise… La nécessité de prendre le virage domiciliaire et de permettre aux gens les plus fragiles de vivre où ils le souhaitent suppose de former les professionnels et d’être suffisamment attractifs pour recruter. Pour faire évoluer le système de santé, nous avons besoin de tous, professionnels de santé, État, Sécurité sociale, collectivités territoriales, mutuelles et usagers. Nous devons redonner la capacité d’initiative à tous les professionnels, mais aussi miser sur la démocratie en santé pour que les transformations soient comprises et acceptées par les bénéficiaires afin qu’ils en soient eux-mêmes acteurs.
Quelles sont vos recommandations* pour rendre de nouveau le secteur du soin – et notamment hospitalier – attractif ?
É. C. : Un certain nombre de prises en charge ont été transférées à l’hôpital parce que la permanence de soins a été déréglée voici une vingtaine d’années avec la suppression des gardes. Aussi avons-nous fait une proposition d’une garde collective à l’échelle territoriale, en laissant les professionnels s’organiser chaque soir et chaque week-end, avec obligation de résultats. Des équipes de soins traitants associant médicaux et paramédicaux de ville pourraient également se substituer aux médecins traitants impossibles à trouver pour 5 millions de nos concitoyens. À cet égard, il ne faut pas négliger la télémédecine, un outil défendu par les mutuelles depuis 2010 quand l’assurance maladie s’y opposait, qui permet d’apporter diagnostic et expertise dans les territoires en tension.
Cela demande de repenser, par exemple, les décrets de compétences et de revaloriser les métiers ?
É. C. : Pour changer de système, il faut accepter d’y investir. Accepter de dépenser plus pour dépenser mieux. Ainsi, n’a-t-on pas intérêt à mieux rémunérer les gardes médicales, afin que l’activité du médecin généraliste redevienne attractive, que des médecins aient envie de se consacrer à cette belle mission à l’échelle des territoires ? Ceci, plutôt que de continuer à voir se transférer des centaines de milliers de prises en charge de la ville à l’hôpital, plus coûteuses pour le système de santé, insécurisantes pour les professionnels hospitaliers, insatisfaisantes pour le patient au regard du mode d’organisation des urgences embolisées.
Quel rôle le secteur mutualiste peut-il jouer ?
É. C. : Acteur du mouvement social, nous portons questions et réflexions au débat public. Nous négocions avec les partenaires sociaux lorsque se décide, collectivement, d’allouer davantage de recettes au système de santé pour sortir de la logique purement comptable qui nous a conduits au dérèglement actuel, faute d’anticiper la transition démographique et sanitaire. Enfin, nous sommes un syndicat professionnel, offreur de soins et gestionnaires d’établissements (centres de santé, crèches et cliniques, SSR, établissements de santé mentale, Ehpad…) où nous expérimentons des innovations de prises en charge… pour autant que les freins économiques, fiscaux, règlementaires soient levés car ils brident la capacité des mutuelles, groupes et unions à développer des réponses nouvelles.
Propos recueillis par Suzanne Nemo
*La Mutualité a émis, lors de la campagne présidentielle : 12 propositions faites par la Mutualité française en janvier 2022