L'efficacité des antibiotiques, mieux ciblés et surtout mieux utilisés, gagnerait à être systématiquement évaluée chez l’Homme et davantage maîtrisée chez les animaux. Deux experts scrutent les évolutions et l’impact de leurs prescriptions, y compris pour la planète.

 

 

Jean yves madec

Jean-Yves Madecdirecteur scientifique antibiorésistance de l’Anses*

 

Comment évolue l’usage des antibiotiques en France ?

 

Nous observons une baisse très relative dans l’uni­vers médical. En Europe, nous restons de grands consommateurs d’antibiotiques. Parallèlement, les choses ont considérablement évolué depuis ces dix dernières années dans le secteur vétérinaire où deux plans ministériels écoantibio ont conduit à réduire la consommation de l’ensemble des antibiotiques de près de 50 %, et de 90 % pour l’Homme. Cet effort colossal produit des résultats. Nous obtenons une nette diminution de l’exposition des animaux aux antibiotiques. Aujourd’hui, le tonnage est environ deux fois moins important chez l’animal que chez l’Homme. L’an dernier 422 tonnes d’antibiotiques ont été utilisées chez les animaux, pour 772 chez l’Homme. Le risque de transmission de l’animal à l’Homme me paraît mieux maî­trisé aujourd’hui.

 

Qu’avez-vous découvert récemment ?

 

Les conséquences des prescriptions ont un effet sur l’environnement et nous venons de dresser un premier état des lieux sur l’impact de leurs consommations. Les fluoroquinolones et les sulfamides font partie des antibiotiques les plus ré­sistants dont l’effet est le mieux connu. Les rejets les plus contaminés sont identifiés en aval des hôpi­taux et des élevages. Ces hotspots de contamination sont liés aux lieux de soins. Notre approche visant à mieux comprendre l’impact sur nos milieux se situe aussi dans un contexte international sur la base d’observations dans d’autres régions du monde.

 

« L’antibiorésistance ne connaît pas de frontières et pourrait se répandre si elle n’est pas mieux maîtrisée. »

 

L’antibiorésistance pourrait-elle devenir l’une des principales causes de mortalité ?

 

Cela paraît difficile à prédire, mais je partage cette inquiétude de l’OMS. L’antibiorésistance pourrait se répandre si elle n’est pas mieux maîtrisée en Inde, en Chine, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. L’usage des antibiotiques et les facteurs de transmission liés à la pro­miscuité, la densité de popu­lation, l’activité industrielle posent de sérieux problèmes. Ces réservoirs peuvent s’étendre avec des échecs thé­rapeutiques à la clé. Les antibio­tiques sont aussi utilisés comme fac­teurs de croissance chez les animaux dans les trois quarts des pays du monde. Une pratique à interdire partout en priorité comme c’est déjà le cas depuis plus de 15 ans au sein de l’Union européenne.

 

* Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

772 tonnes d’antibiotiques prescrits en 2019

 

 

 

Jean françois BERGMANN

Pr Jean-François Bergmann, professeur émérite à l’Université de Paris. Ancien vice-président de la commission d’AMM (Autorisation de mise sur le marché)

 

Comment évolue la consommation des antibiotiques ?

 

En 2019 nous avons observé une lente baisse du recours aux antibiotiques. Ce mouvement amorcé depuis 10 ans nous permet d’enregistrer une chute de 2 à 3 % par an. Au-delà de la baisse générale, il est intéressant de regarder ce qui se passe dans chaque classe d’antibiotiques. En ville, les antibiotiques à large spectre qui étaient trop utilisés le sont moins. Je pense en particulier à la baisse de 35 % des quinolones dans les infections urinaires, 17 % en ce qui concerne l’amoxicilline-acide clavulanique. Cela devient plus raisonnable avec des prescrip­tions mieux justifiées. Nous restons tout de même de gros consommateurs d’antibiotiques puisque nous dépassons de 30 % leur utilisation à l’échelle de l’Europe. Cela repose sur de vieilles habitudes et une trop grande confiance des Français en ces médicaments qui ont la réputation de guérir rapidement.

 

Quelles sont les indications face à la Covid-19 ?

 

On ne doit y avoir recours qu’en cas de certitude ou de forte suspicion de surinfection bactérienne en plus de l’infection virale. Les infections virales à Covid peuvent d’ailleurs durer bien plus de cinq jours, sans qu’il y ait pour autant une surinfection bactérienne. Sur le virus cela ne fait rien et le cocktail hydroxy-chloroquine plus azithromycine qui a été promu par les Marseillais ne fonctionne pas. Dans les formes graves de Covid avec des infections pulmonaires, c’est le virus lui-même qui est toxique au niveau du poumon. Les pneumonies graves de la Covid sont finalement rarement des surinfections bactériennes, sauf chez certains patients, notamment chez des malades ven­tilés en réanimation. Il y a donc peu d’indications aux antibiotiques même dans les formes graves de la Covid, sauf en cas de surinfection chez les personnes qui souffrent déjà de bronchite chronique, de BPCO**.

 

« Accordons plus de confiance aux référents antibiotiques dans nos hôpitaux. »

 

Que recommandez-vous pour mieux les utiliser ? Il convient d’être économe et de bien réfléchir : il faut les prescrire le moins possible, uniquement lorsque cela est nécessaire, et après un antibiogramme. Si cela s’avère indispensable, l’idéal est de recommander le plus ancien avec le spectre le plus étroit. La vraie nouveauté c’est qu’il devient possible de les prendre moins longtemps. Les 7 jours minimum n’ont plus cours, puisque des publications invitent dans certains cas à réduire le temps des traitements. Contrôler leurs actions serait un plus. Dans chaque hôpital et hors de l’hôpital, le rôle du référent antibiotique pourrait être étendu. Nous avons besoin de cette expertise, de leurs conseils. Ce n’est pas encore dans la culture, pour­tant les médecins auraient tout intérêt à l’accepter pour améliorer l’efficacité des traitements.

** Bronchopneumopathie-chronique obstructive

 

 

En France + de 30 % au-dessus de la moyenne européenne

Propos recueillis par Laurence Mauduit

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