Respiratoires, alimentaires, formes atopiques : les allergies ne sont pas à prendre à la légère. Plus fréquentes et plus sévères, ces pathologies complexes ne sont pas une fatalité. Elles exigent un suivi dans des services hospitaliers ou des unités transversales dédiées à mieux les connaître pour éviter les errances thérapeutiques trop nombreuses.
Le Professeur Pascal Demoly, Président de la Société française d’allergologie (SFA) et Sabine Host Chargée d’études Santé-Environnement à l’Observatoire régional de santé( ORS) d'Île-de-France, nous livrent leur point de vue.
Pr Pascal Demoly
Quelles sont les ambitions du plan quinquennal contre les allergies ?
Il s’agit de mieux prendre en compte ces maladies qui concernent 20 à 30 % de la population générale. Notre jeune spécialité se structure officiellement dans les hôpitaux depuis 2017. Depuis cinq ans, l’allergologie dispose enfin d’universitaires, de praticiens hospitaliers, de chefs de clinique et d’internes dédiés. Ce mouvement se met en place lentement, sur tout le territoire.
Nous avons longtemps été abrités sous forme de vacations par la pneumologie, plus rarement par la médecine interne, souvent par la pédiatrie et parfois par la dermatologie. Ce plan quinquennal est un acte politique qui permet de structurer davantage notre discipline et faire prendre conscience aux décideurs de l’ampleur du problème et du rôle que les allergologues ont à jouer en santé environnementale. La France était très en retard, et l’accélération de la prévention primaire sur les allergies offre la possibilité de réduire considérablement le risque de développer d’autres pathologies.
Comment accélérer les prises en charge ?
Nous existons désormais depuis trois ans, et le Centre national de gestion (CNG) a ouvert le concours de praticien hospitalier aux allergologues. La direction générale de l’offre de soins est en train de créer des unités transversales d’allergologie et encourage les hôpitaux à créer aujourd’hui des services dédiés. Les agences régionales de santé et les hôpitaux sont invités à dégager du personnel pour faciliter la mise en place de plateaux techniques.
C’est aussi le moment de soutenir la prescription des produits biologiques par les allergologues, possible depuis la rentrée universitaire. Cela inclut non seulement les anticorps monoclonaux, mais aussi l’immunothérapie allergénique (ou désensibilisation), cette dernière étant menacée de déremboursement dans sa forme gouttes sublinguales.
"Nous unir, nous former et collaborer"
Pourquoi encouragez-vous les soignants à se mobiliser sur ce thème ?
Les allergies peuvent atteindre un organe particulier qui peut spontanément conduire les patients vers les dermatologues, mais c’est avant tout une maladie de système qui nécessite une expertise particulière et donc l’intervention d’un allergologue dans un parcours de soin coordonné. Les services d’urgence doivent plus spontanément se tourner vers nous. Alors que nous disposons d’un service dédié au CHU de Montpellier, nous ne voyons presque aucun des 2 500 enfants qui atterrissent aux urgences chaque année. Urticaire, angioœdème, crise d’asthme, problèmes alimentaires : tous ces jeunes patients sont renvoyés chez eux avec la consigne de consulter un allergologue, tellement rare en médecine de ville. Cela nous amène à envisager la mise en place d’unités post-urgence comme en neurologie pour les AVC. Nous devons intervenir sur les chocs anaphylactiques, les exacerbations d’asthmes dont l’origine est souvent allergique. On est là pour donner notre avis aux pneumologues, aux pédiatres, aux médecins internes et travailler par la suite avec les libéraux spécialistes et surtout les professionnels de soins primaires. Nous devons nous unir,
Sabine Host
Les restrictions de circulation automobile en Îlede-France sont-elles réellement bénéfiques pour la santé ?
Cette situation assez inédite du premier confinement avec un arrêt drastique du trafic routier nous a permis de mesurer à quel point ce dernier était responsable de l’importance des niveaux de polluants et donc des impacts sur la santé des Franciliens. Les évaluations quantitatives d’impact sanitaire ont conclu à 1 200 décès évités grâce à la diminution de l’exposition de la population au dioxyde d’azote pendant ce premier confinement, 310 en Île-de-France. Sujet encore émergent à la fin des années 80, aujourd’hui de nombreuses équipes de recherche se mobilisent sur les conséquences directes des expositions à la pollution sur la santé.
Avez-vous d’autres sources d’inquiétude aujourd’hui ?
Le trafic routier est responsable de 50 % des émissions de dioxyde d’azote, mais il contribue dans une moindre mesure aux émissions de particules fines qui sont d’abord liées au chauffage domestique, notamment au chauffage au bois, mais aussi aux épandages agricoles. La crise énergétique cet hiver nous fait craindre un recours accru au chauffage au bois, fort émetteur de particules, notamment pour les systèmes les moins performants. C’est aujourd’hui une nouvelle source d’inquiétudes, et des enquêtes sont menées pour documenter les différents systèmes de chauffage utilisés et identifier les pratiques individuelles afin, par exemple, d’encourager un usage modéré des foyers ouverts (voire de les proscrire en zones denses) et l’utilisation de bois de bonne qualité.
"Le masque chirurgical ne protège pas de la pollution"
Que suggérez-vous aux équipes de soins ?
J’encourage les soignants à porter les messages auprès des patients. Ces personnes fragiles peuvent agir sur leurs comportements, changer leurs habitudes dans leur environnement.
Ces dangers de la pollution de l’air relayés par les soignants auront plus d’impact. Réduire les trajets en voiture, encourager l’activité physique ont aussi des bénéfices directs sur la santé. Encourager les comportements qui contribuent à réduire les émissions de pollution de l’air me paraît particulièrement important aujourd’hui. Des alertes dédiées sont lancées quand les niveaux deviennent trop élevés.
C’est l’occasion d’adapter les comportements, notamment pour les personnes fragiles, comme les asthmatiques, pour réduire individuellement son exposition. Un rappel au bon sens à ne pas négliger dans les échanges avec les patients.
Propos recueillis par Laurence Mauduit
Les chiffres clés
1/3 de la population souffre d’allergies
1 enfant sur 10 a une allergie alimentaire
28 postes d’internes DES d’allergologie créés par an
40 000 décès attribuables aux particules fines chaque année chez les plus de 30 ans en France
Près de 8 mois d’espérance de vie perdus en moyenne en France (en lien avec l'exposition aux particules fines)