Applaudis et remerciés en pleine crise sanitaire, les aides-soignants champions de la bienveillance et de la compassion retombent aujourd’hui dans l’oubli. En Ehpad, aux urgences, en soins de suite ou de réadaptation, dans les services aigus, les aides-soignants réalisent discrètement les tâches les moins valorisées. Coup de projecteur sur les perspectives de ce métier que les hôpitaux peinent à recruter.
Guillaume Gontard, Président de la Fédération nationale des associations d’aides-soignants (FNASS) et Anne-Marie Arborio, Sociologue, enseignante à l’Université d’Aix-Marseille, chercheuse au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail, nous livrent leur point de vue.
Guillaume Gontard
Les récentes initiatives pour recruter des soignants tiendront-elles leurs promesses ?
La campagne de recrutement lancée sur les réseaux sociaux au printemps, intitulée « On a besoin de vous », n' a pas eu beaucoup de répercussions sur le terrain. Ces messages trop publicitaires, relayés à l’occasion de campagnes de communication très onéreuses, me semblent finalement très éloignés de ce dont nous avons besoin.
L’idée est bonne puisque nous devons recruter, mais pour que cela soit concrètement attractif, il convient d’abord de retrouver un apaisement dans les services de soin. On en est loin et tout le monde s’ en rend compte. Notre métier est difficile, mais des solutions existent et l’idée majeure aujourd’hui me semble davantage de fidéliser les soignants.
"L’amélioration de nos conditions de travail repose aussi sur plus d’implication des familles. "
Comment fidéliser davantage les aides-soignants ?
Nous avons d’abord besoin de moins de pression dans notre travail. La rapidité dans les soins ne me paraît pas un objectif raisonnable. En Ehpad, dans les services de chirurgie ou bien en soins intensifs, nous devons nous adapter à des rythmes très différents selon l’autonomie des patients. Alors, oui, nous devrions être plus nombreux pour améliorer ces ratios entre soignants et soignés. Mais cela va prendre du temps et, quoiqu’il en soit, certains d’entre nous seront un jour ou l’autre en arrêt de travail, car nos missions sont particulièrement difficiles. Entrer dans la chambre d’un malade n’est pas anodin et le plein emploi dans notre métier ne me paraît pas sérieusement envisageable. Par contre, l’amélioration de nos conditions de travail repose aussi, me semble-t-il, sur plus d’implication des familles et des aidants, en Ehpad notamment souvent trop considérés comme des résidences hôtelières par les familles.
L’apprentissage est-il un frein ou un tremplin ?
J’ai personnellement bénéficié d’une formation en apprentissage il y a des années. Cela se passe vraiment très bien et dure un peu plus longtemps. J’ai démarré dans un Ehpad en réalisant des stages pour découvrir le métier dans tous les services. Toutes les structures qui accueillent des apprentis cherchent à les garder comme aides-soignants. Cela se comprend, mais je trouve bien de changer de service pour découvrir tous les pans de notre métier. Cela permet de s’adapter, de découvrir d’autres techniques. Il faut donc aussi permettre aux aides-soignants de changer de service quand ils en ont besoin.
Pour le réaliser, il faut les encourager à travailler sur leur potentiel et multiplier sans relâche les formations. C’est bien d’être spécialisé, à condition de ne pas s’y enfermer, car ensuite cela devient plus difficile de changer et donc d’évoluer dans notre métier. L’apprentissage est donc une vraie chance d’entrer dans la grande famille des soignants, à condition de pouvoir évoluer au cours de sa carrière pour celles et ceux qui le désirent. L’idée d’un parcours de réussite en deux ans, réservé aux aides-soignants expérimentés souhaitant devenir infirmiers, peut favoriser les évolutions de carrières. Une perspective que nous souhaitons désormais voir se traduire dans les faits !
Anne-Marie Arborio
Comment évolue ce métier d’aide-soignante ?
Le métier d’aide-soignante, formalisé dès 1949, est resté longtemps peu visible et peu valorisé et ce malgré son rôle important auprès des malades. Ses compétences ont été définies plus précisément dans le cadre d’un diplôme d’État et il a bénéficié d’une certaine revalorisation salariale. Mais il reste encore sous le contrôle de la profession infirmière. Pourtant, dans certains services s’observe une organisation strictement séparée du travail entre aide-soignante et infirmière et dans d’autres, en manque de personnel, des aides-soignantes assument des tâches réservées aux infirmières.
Ce métier peut servir de tremplin pour devenir infirmière, mais la plupart des aides- soignantes apprécient leur rôle d’accompagnement des malades au quotidien, du moins lorsque les conditions de travail permettent de l’exercer au mieux.
Sont-elles vouées à endurer cette situation ?
Les aides-soignantes, comme les autres personnels des hôpitaux, sont soumises à des conditions de travail difficiles, même en temps ordinaire. Certaines sont inhérentes à l’organisation du travail en continu à l’hôpital, que ce soit en équipes de 12 heures ou de 8 heures, avec des horaires décalés qui compliquent l’organisation de leur vie personnelle, et à la pénibilité du travail avec beaucoup de manutention des corps. Mais d’autres tiennent à la manière dont a évolué l’hôpital ces dernières années. Les personnels demandent à pouvoir travailler comme des salariés dont on respecte les droits à faire des pauses, à bénéficier d’un repos quotidien conséquent et à disposer de vacances sans risquer d’être rappelés, et surtout dotés des moyens de faire du bon travail au service des malades.
"Rendre soutenable le travail hospitalier pour ne pas les décourager."
En pleine crise de recrutement, comment repérer les candidats ?
Des aides-soignantes ont suivi la formation qui mène au diplôme dans la foulée de leur scolarité, mais d’autres le font plus tardivement dans le cadre d’une reconversion professionnelle.
Beaucoup ont d’abord exercé des fonctions moins qualifiées dans des établissements de santé. Devenir aide-soignante est alors envisagé comme une promotion, mais ce projet ne peut se réaliser qu’à la condition d’un financement de leur formation par l’employeur ou d’un apprentissage des missions d’aide-soignante sur le tas en vue d’une validation des acquis de l’expérience. Cela suppose toutefois, en amont, d’avoir rendu soutenable le travail hospitalier pour ne pas décourager celles qui l’exercent et pourraient y déployer des carrières longues.
Propos recueillis par Laurence Mauduit
Les chiffres clés :
400 000 aides-soignants en France
36 104 places ouvertes en IFSI en 2022
90 % des aides-soignants sont des femmes
Diplôme d'État depuis 15 ans